• Grimoire

    Un cadeau, une trace concrète des pensées complexes et créatives de l'homme, une preuve de son humanité.

    Grimoire 

    Rubrique de mes compositions/petites histoires

    Je ne suis pas une pro mais j'espère que tout ce petit grimoire vous fera plaisir.  Merci de ne pas plagier.

  • Tout est dans la manière 


    - Qu'est-ce qui ne coûte rien mais qu'on ne peux jamais ravoir ?

    - Le temps.  

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    Il était une fois, une petite fille qui vivait heureusement avec ses deux parents dans un quartier tranquille et où tout le monde était toujours de bonne humeur. Un beau jour, elle entendit une jolie chanson à la radio. Sans le savoir encore, cette chanson la tourmenta pendant un bon moment. Elle n'y prêta pas attention, cependant. Pour elle ce n'était qu'une chanson qui répétait tout le temps la même phrase. Puis, quelques années plus tard, elle crut entendre cette même chanson à la télé. Ce morceau avait tout pour plaire. Le texte était francophone, sa langue maternelle, et son compositeur-interprète, Daniel Bélanger, était un artiste qu'elle connaissait depuis peu et qui l'intriguait au plus haut point. Elle avait reconnu sa voix instantanément.

                  La mélodie et cette formulette résonnaient dans sa tête.

     

    Tout est dans la manière.

     

    Cette petite phrase était tout ce qu'elle avait comme indice. Elle finit par trouver la chanson. À son écoute, chaque mot, chaque note de musique lui rappela son enfance et les crescendos résonnaient comme un cri du cœur. Chaque intensité dans la voix du chanteur la faisait frissonner.

     

    Le monde peut quitter le monde quand il veut
    Partir où bon lui semble quand il veut
    Faire d'avril un mai, d'un mai un novembre
    Tout est dans la manière, dans la manière
    Tout est dans la manière
    Tout est dans la manière
    Tout est dans la manière…
     

    Voilà des dires bien étranges. À première écoute, elle n'y comprit rien à rien. Mais cette mélodie, ô belle mélodie… elle suffisait à apaiser tout son être. Et il y avait le mot « novembre », ce qui ajouta à son affection, puisque ce mois étant celui de sa naissance, tout ce qui se rapportait à novembre éveillait ses sens.

     

    Tu peux quitter le monde quand tu veux
    Aller où bon te semble
    Quand tu veux
    Chercher ton bonheur loin de moi, ailleurs
    Mais il y a la manière, la manière...
    Mais il y a la manière
    Mais il y a la manière
    Mais il y a la manière…
     

    La manière, quelle manière ? De quoi il parle ? Elle voulait comprendre désespérément, elle voulait comprendre le compositeur. Ce langage tordu était bien trop compliqué pour elle. Mais elle n'abandonna pas. Pas sur cette chanson fabuleuse et énigmatique.

     

    Tu dois te risquer à toi-même
    Accéder à ton monde
    Celui qui te fait plaisir, en dehors du rêve
    C'est tout ce que je peux te dire, c'est tout ce que je peux te dire
    Tu peux partir...
    Mais il y a la manière
    Mais il y a la manière
    Mais il y a la manière
     

    Et donc elle ferma ses yeux et s'abandonna à son écoute. Elle s'abandonna à elle-même. Et elle plongea dans un torrent de souvenirs. Tout est dans la manière, c'est une phrase incomplète, floue. C'est pour que la personne qui l'écoute l'interprète comme elle l'entend, dans ses oreilles puis jusqu'à son cœur, son âme. Et puis la jeune fille se rappela elle. Comment elle était, comment elle est et comment elle sera. De nature peu bavarde, timide mais qui au fond criait de l'intérieur. Sans la parole, qu'est-ce qui nous reste ? L'écoute, l'observation. Elle écoutait tout, parfois à l'insu des autres. Et puis elle aimait regarder autour d'elle même si son sens de l'observation était nul. Elle rêvait de voyager, rencontrer des gens aux quatre coins du monde, prendre des photos partout, inspirer les gens, aussi peu qu'elle en connaissait soit-il. Puis elle se demanda comment les gens pouvaient la voir. La fille aux lèvres sèches et silencieuses, petite gamine trop jeune pour comprendre le sens de la vie. Le sens de la vie, n'est-ce pas une chose universelle ? Une chose que n'importe qui peut comprendre, à sa manière.

     

    Mais il y a la manière

    Mais il y a la manière

    Mais il y a la manière

    Tu peux quitter le monde mais il y a la manière...

     

                Aujourd'hui, cette petite fille, c'est moi. J'ai grandi, bien sûr. Et la vie, je sais qu'elle est partout. Je la vois dans les fleurs qui poussent chez moi, dans le vent et la pluie, dans les histoires que je lis, celles qui m'inspirent et me rendent plus humble. Je vois la vie dans les coucher de soleil mémorables, dans l'art et la musique, les concerts qui nous font danser et aussi dans les personnes que j'aime plus que tout. Et la manière, c'est tout. C'est ce qui nous différencie. On a tous une manière différente de faire les choses. La manière de rêver, de danser, de chanter, de tout faire. De vivre.

     

     


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  • Pays des Rêveurs damnés
     

    "You are old, Father William," the young man said,
    "And your hair has become very white;
    And yet you incessantly stand on your head—
    Do you think, at your age, it is right?"

    "In my youth," Father William replied to his son,
    "I feared it might injure the brain;
    But now that I'm perfectly sure I have none,
    Why, I do it again and again."

    Lewis Carroll, Alice's Adventures in Wonderland, chapitre cinq.

     


     

    À l'orée de la forêt, au-delà du champ, elle le vit. Le souffle court, le cœur battant, ses hallucinations avaient bel et bien repris dans sa tête. C'était ainsi qu'elle vivait, incapable de distinguer le réel de l'inconcevable. Elle était à genoux, sa jambe gauche littéralement amochée et ses cheveux blond roux en bataille. Tout en inspirant l'air sanglant et saturé, les yeux clos, elle arracha quelques brins d'herbe humides avant de se lever du mieux qu'elle le pouvait, ignorant la douleur vive de sa cheville qui lui faisait vibrer la tête. Au moment de lever les yeux vers la forêt au loin, il n'y était plus. Elle eut peur un instant.

                La vue brouillée, ses pieds souffrants se mirent à avancer à l'aveuglette, d'un pas boitant. La robe blanche qu'elle portait était déchirée dans le bas, au niveau des mollets, et les manches tombaient en lambeaux. La jeune survivante enjamba les corps en évitant les coups d'œil vers eux. Au bout d'un moment, ses yeux verts revinrent à eux et elle distingua un environnement vaste, avec un sol couvert de pelouse brûlée vive et un ciel étrangement pâle. Une brise légère effleurait sa peau presque blanche et satinée. La jeune fille vit les herbes du champ se dresser très haut devant elle, dessinant un passage étroit vers la montagne brumeuse au loin. Ce monde semblait si irréel, mais à la fois si familier.

                Où était-il ? disparu, apparemment. 

                Ses enjambées se faisant de plus en plus rapides, elle suivit le chemin et un brouillard saisissant envahit le champ et se répandit tout autour d'elle.

                « Respire. »                                                

                Ce petit mot résonnait dans son esprit. Malgré tout, l'air était si étouffant que sa respiration se faisait de plus en saccadée. Elle détestait se sentir si faible. Sentir ses poumons brûler à chaque respiration, laissant entrer l'odeur du fer et de la désolation en elle. Respirer par la bouche était la meilleure solution. Ses lèvres sèches et saignantes s'entrouvrirent alors qu'elle entama sa route.

                Elle suivit le chemin tracé dans les herbes hautes qui menait vraisemblablement à la montagne. Pourquoi se donner la peine d'aller jusque-là ? Pourquoi ne pas abandonner tout de suite et se laisser tomber dans un sommeil éternel ? Cela semblait tellement mieux. Tellement plus simple. Mais elle ne pouvait pas. Son âme pure la rendait forte. Elle savait qu'ils allaient revenir. Elle ne pouvait se permettre de laisser tomber, donner ce plaisir à la Reine Rouge: mourir dans un champ avec d'autres oubliés bannis. Au fil de ses pas, le ciel s'assombrit d’un coup, trop rapidement. Quelle heure était-il ?

                En peu de temps, la nuit tomba. Elle aperçu des silhouettes dans les herbes. Sa route, qu'elle dissimulait grâce au faible clair de lune, s'amincit et se fit très étroit. Puis, le gravier sous ses pieds se transforma en dalles rouges et noires. La voilà qui s’approchait du royaume de la Reine Rouge.

                ‒ Alice !

                Elle fit volte-face sur elle-même mais la route derrière elle était déserte. En se retournant vers l'avant, le décor avait changé. Elle se trouvait dans une pièce circulaire très grande avec une vieille tapisserie florale sur les murs.

                « Pas encore, » se dit-elle.

                C'était la pièce sans issues. Celle qui n'avait aucune possibilité d'échappatoire. Elle s'adossa au mur et se laissa glisser par terre. Cette fois, c'était la fin. Elle se noya dans ses larmes pures et translucides avant de s'assoupir, prise de spasmes et de sanglots. Puis, elle se réveilla. Tout était noir autour d'elle et elle avait l'impression de s'enfoncer vers le bas. Son corps était supporté par une force étrange, mais douce. Elle réalisa qu'elle ne pouvait pas respirer. De l'eau incroyablement saturée engouffraient sa gorge. L'eau, elle était dans l'eau.

                « Je ne sais pas nager, » se dit-elle en regardant en haut.

                Un mince filet de lumière filtrait à travers les vagues. La jeune fille tenta désespérément de remonter, mais la surface semblait s'éloigner alors que son petit corps frêle lui, descendait dans des profondeurs effrayantes.

                ‒ Alice ? Alice ?!?

                Quelqu'un criait son nom qui résonnait dans sa tête. L'écho de ces deux syllabes lui cognait dessus comme un marteau. La voix masculine et réconfortante de son enfance semblait si proche, si réelle. Son envie irrépressible de se laisser mourir une fois pour toutes dans ces eaux obscures l'emporta et elle cessa de se débattre. Elle s'enfonça longuement, de plus en plus dans la noirceur, mais sa capacité à retenir sa respiration la surpris. La seule manière pour en finir était de laisser ses poumons se remplir de cette eau beaucoup trop salée.

                ‒ Alice, m'entend-tu ? Alice, s'il te plaît, ne fait rien de stupide.

                Le sel lui brûla les voies respiratoires ou du moins, c’est ce qu’elle senti. Le goût amer lui emplit la bouche et elle laissa sortir quelques bulles, prise de panique. C'est ainsi qu'elle allait mourir. Noyée, dans... dans quoi, au juste ? Un océan sans fond ? La Reine Rouge allait s'en réjouir. Ce fut à cet instant qu'elle pensa à sa famille, à son père qui ne voulais plus la voir mais qu'elle aimait du plus profond de son cœur.  Ah, son paternel à l'âme bien têtue mais pleine de bonté. Comme il manquait à sa fille. Qu'en était-il du Chapelier fou ? Et du Lapin blanc ?

                Non. Elle ne pouvait pas mourir. Pas maintenant. Elle devait aider les autres. Ceux qui l’ont toujours défendu. Si elle devait mourir, ce serait pour eux, pas pour la Reine Rouge. Elle retrouva étrangement le contrôle de ses membres et ses jambes se mirent à faire de grands battements afin de remonter à la surface malgré cette douleur lancinante dans sa cheville fracturée. La lumière venant d’en haut s’agrandit au fil de ses mouvements.

               ‒ Ne te noie pas dans toutes tes larmes, Alice...

               Cette voix était différente que tout à l'heure et elle lui rappela instantanément celle du chat du Cheshire. Lente et incroyablement calme. Familière. Il avait raison. Survivre et combattre, deux missions si semblables. Une volonté nouvelle la submergea alors qu’elle approcha de la surface. Sa tête émergea de l’eau et un son bruyant sorti de sa bouche. Ses poumons et sa gorge brûlaient mais elle réussit péniblement à atteindre la grève. Son corps imbibé d’eau tomba lourdement sur le sable blanc accompagné d’une plainte aigue. Son pied avait heurté un caillou. Ses yeux s’habituèrent à l’environnement lumineux tout autour et en regardant le paysage, elle constata qu’il était vaguement banal. Autour d’elle se dessinait une plage au sable blanc et à la mer bleu sombre. Le ciel était gris, un gris teinté de violet plein d’espérance, plein de promesses. Elle se surprit d’avoir été si indécise pendant ces dernières heures. Elle avait l’habitude de foncer tête première dans des périples inquiétants, et maintenant, elle devait se ressaisir. Son choix fut définitif; elle allait vivre et combattre. Elle le devait à ses amis, sa famille. Elle le devait aussi à la Reine Rouge. Celle-ci avait besoin d’une ennemie proche, à la fois vulnérable et brave, comme son père.

              Enfin, Alice prit une goulée d’air. Sa cheville ne souffrait plus. Un sentiment de ravissement la secoua de toutes parts, éveillant son corps frêle. Elle vit alors le monde d’un nouvel œil. Le soleil, qui s’était fait timide ces derniers jours, s’exposa au ciel indigo.

             Alice, âgée de trente-cinq ans, avait retrouvé ses jeunes années. Ses cheveux blond roux reprirent de l’éclat avec les rayons du soleil et sa peau exténué devint lisse, claire et douce comme la rosée au lever du jour. Son cœur qui avait délaissé toute trace de sentiments heureux, se remit en marche et tout son corps se dégourdit. Le ravissement de la jeune femme ne s’arrêta pas là. Elle avait repris la joie de vivre, elle avait un but. La mer bleu azur lui caressa les pieds alors qu’elle marchait en observant les herbes pousser devant elle. Elle le vit encore au loin, à la lisière du champ. Cette fois, il était bel et bien réel.

            « Père… »

     

     

     


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    He sleeps alone
    He needs no army where he's headed
    'Cause he knows that they're just ghosts
    And they can't hurt him if he can't see them
    Ohh

    - Sleep Alone par Two Door Cinema Club

    ---

     On s'est tous déjà senti seul une fois auparavant. Et qu'est-ce qui arrive quand on est seul ? On pense trop. Et un phénomène qui m'effraie un peu, c'est de se sentir seul alors qu'on est entouré de monde. Ressentir un vide quand les gens nous parlent. Ce sentiment est horrible. 

     Le plus pire, je crois, c'est le soir. Quand on se couche dans notre lit. Le sommeil prend du temps à se manifester et on se met à... penser. Encore et encore. Un enchaînement de réflexions et de scénarios impossibles. Dans mon cas, je pense tellement que je finis par me détester en un sens. Je me rappelle des moments fâcheux et des échecs que j'ai vécu et ça m'est insupportable. 

     J'ai appris quelque part que pendant la journée, on s'occupe et on interagit avec ce qui nous entoure. Alors que la nuit, avant de s'endormir, c'est le néant. Il n'y a personne avec qui parler. On se retrouve avec soi-même. Et donc, notre cerveau commence à divaguer. Et les souvenirs remontent à la surface. 

     --- 

     C'était un petit garçon. Disons qu'il s'appelait Andrew. Il allait à l'école, comme la plupart des enfants de son âge. Cependant, il n'avait pas autant d'entrain que les autres. Il souffrait d'une grande timidité. Et sortir de sa carapace est une chose très difficile pour les plus réservés. Il n'écoutait pas en classe. Distrait, il regardait dehors. Aux récrés, il s'asseyait dans les marches et dessinait. Aussitôt, on voyait dans la prunelle de ses yeux bleus l'excitation qui faisait bouger sa main et transmettre ses sentiments sur papier, comme par enchantement. 

     C'était son passe-temps favori. Il dessinait sa maison, sa mère, son père, ses deux grandes sœurs et lui. Puis, un soleil rayonnant au coin de la feuille. Quand il se sentait mal, il aimait faire des arbres au feuillage noir. Des très hauts, des plus petits, des grands sapins, des saules pleureur. Parce qu'il était triste. 

     Personne ne voulait jouer avec lui. Sans copains, il ne savais pas quoi faire les weekends. Alors il dessinait. Encore et toujours. Il prenait des cours dessin. Mais il dessinait toujours avec des crayons noirs. Au fil du temps, ses facultés en dessin ne cessèrent de croître. Il griffonnait partout. Déjà, il se transformait. 

     Ce fut pendant une belle journée de printemps, alors qu'il avait environ douze ans, que la brute de sa classe vint à sa rencontre durant la récréation. Il prit la feuille d'Andrew et la déchira en hurlant : « Lâche tes sales crayons et tes dessins débiles ! » avant d'éclater de rire. Furieux, Andrew s'enferma dans une toilette de la salle de bain et dessina furtivement dans son cahier. 

     Son professeur trouva son dessin la même journée, dans le bac de recyclage. Comme si c'était une feuille banale parmi tant d'autres. Le dessin représentait la tête coupée de la brute avec le sang qui giclait de partout, les yeux sortit de leur orbite. Il n'avait jamais vu un dessin aussi explicite et violent provenant d'un de ses élèves. Il contacta les parents d'Andrew. 

     Trois ans plus tard, Andrew avait quinze ans et il avait développé un sale caractère. Il se fichait royalement de tout. De ses études, ses tâches, sa famille, les insultes. Tout sauf les arts. Ses parents, malgré tous les sermons, ne pouvaient plus rien faire. Désespérés, il le laissèrent tranquille, convaincus que c'était la chose à faire pour le garder calme. Il résistait à la tentation de riposter aux insultes, se disant que les gens n'en valaient pas la peine. 

     On disait qu'il était mal aimé et désagréable. Le pire, c'est qu'il commençait à y croire. Sans amis, il se libérait dans son art. La seule chose qu'il aimait. Il refusait de se laisser abattre. Sa perception sur le monde, ses opinions, tout ce qui sortait de sa bouche était vivement critiqué. À la fin de la journée, il se faisait battre dans la cour derrière le lycée. Tout lui semblait inutile, alors, il se taisait, alors que le sang affluait par son nez. 

     Le matin, il se levait en retard et ankylosé, s'habillait de vieux vêtements sur sa porte de chambre et quittait la maison avec son cartable plein de feuilles gribouillées avec une tranche de pain recouverte d'une généreuse couche de Nutella. Il s'aspergeait d'eau parfumée pour enlever son odeur de crasse. Dans la cour de son lycée, il s'isolait dans un coins, plus précisément sous les gradins du stade de football pour faire des esquisses. Il aimait dessiner des visages étranges et son univers était comme un trou noir qui l'engloutissait un peu plus à chaque jour. Lorsque la cloche sonnait, il flânait jusqu'à son cours et dessinait dans ses manuels, notes de cours, agenda, tout. Ses professeurs lui posaient des questions, questions auxquelles il répondait souvent par « je n'ai rien compris » ou « je m'en fou ». On se moquait de lui. On disait qu'il était antisociable, désespéré et stupide. Ou simplement qu'il était effrayant avec ses dessins. On l'évitait comme la peste. Le soir, il s'enfermait dans sa chambre et maniait son crayon jusqu'aux petites heures du matin. 

     Un jour, le groupe 32 accueillit une nouvelle élève en cours de chimie. Elle fit son entrée dans la classe et se présenta. Elle avait les cheveux brun clair redressés en un chignon déstructuré qui tombait en petites couettes. Elle était gênée et ses joues rougissantes firent ressortir ses yeux verts. On lui attribua Andrew comme partenaire de laboratoire. Comme d'habitude, il n'avait rien écouté et n'avait pas même remarqué la présence de la nouvelle élève. Elle s'installa et regarda par-dessus l'épaule de l'artiste. Il ajoutait de l'encre noire sur un œil ensanglanté. 

     « C'est joli, ça ! » lança la fille. « T'as beaucoup de talent. » Il ne savait pas d'où cette fille sortait. Il murmura : « Tu trouve ? » « Bien sûr que oui ! C'est sombre mais c'est cool. Tu devrais faire des histoires d'horreur. ». Elle sortit un cahier en reliure de cuir noir et l'ouvrit. Sur les feuilles reposaient des esquisses d'animaux sauvages, de visages attristés et de paysages hostiles. Son coup de crayon avait l'air si réaliste. Étonné, Andrew prit plusieurs minutes à feuilleter le carnet. Un éclair de complicité passa entre leur regard d'artistes.  

     Les semaines passaient et Andrew apprit à connaître un peu plus sa partenaire de labo à chaque cours. La jolie brunette pouvait calmer docilement le taureau rebelle en lui. C'était bien la première fois qu'il s'entendait avec quelqu'un. Et cela le rendait plus joyeux et attentif. Un beau jour, il la vit sur un banc près de l'école. Elle griffonnait un brouillon dans son cahier. Le vent doux qui soufflait faisait osciller ses cheveux et il la trouvait magnifique. 

     Non. C'était impossible. Il ne pouvait pas tomber amoureux. Depuis longtemps, il s'était promit de ne jamais tomber amoureux. Il s'était fait à l'idée qu'aucune fille ne pouvait l'aimer en retour et un bouclier anti-amour avait-il développé. Dans sa conscience, l'amour était son ennemi, une maladie qu'il ne voulait pas attraper. On l'insultait à chaque jour. Il voulait fuir, oublier ce sentiment de colère et d'humiliation. Il ne voulait plus souffrir. Et l'amour avait les mêmes contraintes, selon lui. Le cœur s'emballe, puis se brise. Et c'est le néant. 

     Il s'est malgré tout donné comme objectif de réussir son année scolaire. Il voulait se reprendre en main, histoire de rester au même niveau que son amie. Il travailla fort pour rattraper son retard. 

     À la fin de l'année, il eu la fierté d'annoncer la réussite de ses cours à ses proches. Puis, en rentrant chez lui avec sa fidèle complice, il fut abasourdi lorsqu'elle déposa un tendre baiser sur sa joue avant de rentrer chez elle. 

     Il y avait donc de l'espoir. Mais pas trop, quand même. Il réalisa plusieurs choses. Travailler dur porte ses fruits un jour ou l'autre. Ses dessins seront célèbres. Oui. Il doit juste éclaircir son monde. Le faire plus près de sa réalité. Avant, il croyait que sa réalité était noire, destinée à l'échec. Andrew ne courait pas après son bonheur. Il le fuyait, convaincu qu'il ne le méritait pas. Et il savait maintenant qu'il devait vivre sa vie en laissant les jaloux derrière. Il était un oublié, dans un monde hostile, qu'il devait apprivoiser. C'est en frôlant l'empreinte invisible des lèvres douces sur sa joue qu'il rentra chez lui, heureux. C'était lui contre le reste du monde.


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  • **Ce texte n'est en aucun cas en rapport avec l'histoire de Mulan, faite par Disney.  Elle ne me sert que d'image.  Ceci est une histoire fictive et un peu exagérée (ou peut-être pas, tout compte fait) créée par moi-même.

    Ombre céleste rencontre corps froids

     Chine Impériale, Dynastie inconnue 

     Pourquoi vivre pour tuer alors qu'on peut mourir éternel ? 

     Cette fille, froide. Petite, les yeux bridés, les cheveux toujours attachés fièrement sur le dessus de la tête avec deux bâtons d'or. Tête dure, visage las. Traits féminins sans expression grisés par l'ennui. 

     Son père, grand empereur chinois. Tout aussi colérique et d'humeur maussade. Il avait la peau mate et ridée, parsemée de taches de vieillesse. Le sourire sincère et l'empathie, il ne connaissais pas. Il fixait sa fille, sa fierté, sans répit. De ses yeux allongés et d'un brun noircis par toute cette haine. 

     L'adolescente asiatique était dotée d'une grande beauté, mais avait hérité de la cruauté de l'homme paternel qui se trouvait derrière elle à tous les jours. Chaque matin, dès l'aube, c'était une routine fatale. Il fallait la maquiller. Les yeux arqués d'un tracé noir luxuriant. Les lèvres rouge comme son sang. Sang de royauté, de règne éternel, disait-on. Ensuite, elle enfilait délicatement, avec l'aide de ses gouvernantes, sa traditionnelle robe impériale qui la couvrait du cou jusqu'à ses minces chevilles. Une jolie fleur blanche ornait son chignon. L'une des fleurs les plus rares du monde. Il fallait bien qu'elle se montre à son meilleur pour faire face à ses ennemis.  

     Tous les jours. Chaque heure. Un ou des hommes venaient réclamer une bénédiction, une faveur. Il y en avait parfois qui proféraient des menaces. On s'en fichait. Ils se faisaient presque tous trancher la gorge, peu importe la raison de leur présence. Et on jetait leur cadavre dans un trou. Aussi exagéré soit-il, cet acte meurtrier ne pouvait être évité que par l'accord de l'empereur. Mais lui aussi s'en fichait. Tant d'hommes braves étaient tombés, tant de temps désormais perdu s'était écoulé.  

     Ces visiteurs venus de loin entraient dans le majestueux palais. Vaste et grandiose. La salle des rois. Là où résonne chacun de nos pas. C'était grand, mais c'était vide. Une odeur d'encens. La lueur dorée que projetait le soleil méfiant à travers les grands vitraux. Ici commençait la longue marche. La marche vers le trône. À cet endroit, le père farouche et la jeune femme de marbre. Ils regardaient au loin les invités. Cette marche pouvait aussi signifier, pour certaines personnes, la fin de leur long voyage. L'odeur de la mort planait et était prévisible à plus de cent mètres à la ronde. 

     Aujourd'hui était un jour différent. En fin de matinée, lorsque le soleil brilla de milles feux, un homme à la silhouette grande se présenta à l'horizon. Les gardes se redressèrent droit comme des piquets. La lame aiguisée, prêts à tuer.  

     L'homme progressait à un rythme régulier. La fille l'observa. Mais elle appréhendait la fin imminente de cet inconnu. Malgré ses airs durs, elle détestait assister à l'exécution des gens. La règle était un peu poussée, selon elle. Cependant, jamais elle n'oserait en toucher un mot à son père, au risque de se faire frapper ou pire, finir comme ces humains dont l'âme fut volée et leur existence enlevée à tout jamais. Il ne fallait pas contredire le grand manitou, comme disaient les victimes amérindiennes de la journée précédente. 

     Le mystérieux visiteur s'apprêtait à franchir le seuil du palais. Il entra sans hésiter, signant alors son arrêt de mort. Il ne pouvait plus reculer. Les deux individus au bout de la salle le fixèrent, impassibles. L'homme n'avait pas peur. La jeune fille était bien comme on l'avait décrite en ville. Belle, époustouflante même. Mais il devait garder son sang-froid. Il aimerait bien être aussi froid qu'eux, mais la barre était haute. 

     La future impératrice tenta de déchiffrer l'homme qui se rapprochait de plus en plus. Elle put apercevoir ses traits asiatiques, ses cheveux longs tirés vers l'arrière à l'aide d'une épingle, sa carrure imposante rapidement oubliée en regardant son visage doux. Sa tenue vestimentaire se limitait à des vêtements amples de paysan. Ses yeux étincelaient avec les rayons du soleil qui filtraient doucement au travers des fenêtre et frappaient le mur opposé de la salle. 

     Arrivé face à face, l'homme fit une mini révérence avec un mince sourire moqueur au bout des lèvres. L'empereur de Chine le remarqua tout de suite et souffla sur un ton neutre : « D'une arrogance épouvantable. ». Sa voix était grave, teintée de mépris et résonna dans la salle, avant de faire place à un lourd silence. 

     Confrontation du regard entre les deux hommes. La future impératrice brisa quelques minutes plus tard le vide sonore, déstabilisée : « Puis-je vous demander quels sont les motifs de votre présence, monsieur ? ». Aussitôt qu'il eu posé ses yeux ambrés sur elle, la colère de ceux-ci se dissipa. Lentement, le jeune homme entrouvrit la bouche et prononça : « Je suis venu pour vous tuer, vous, mademoiselle, et l'horrible homme qui vous sert de père. ». Les gardes se rapprochèrent mais l'empereur leur fit signe de ne pas bouger. Il n'avais pas à craindre un pauvre habitant déchu. 

     À peine trois secondes plus tard, une dizaine d'hommes impétueux ouvrirent les grandes porte du royaume à plein battant. D'où ils sortaient ? Nulle ne le savait. Ils approchèrent à grands pas, en sortant des épées et des sabres luisants de leurs ceintures. L'empereur envoya, sans paniquer mais toutefois surprit, tous les gardes du palais pour affronter ces adversaires soudains. Dans leurs vêtements solides et leur arsenal d'armement sophistiqué, ils furent disposés à se battre. Un serviteur vint chercher l'empereur et sa fille pour les emmener dans leurs salles respectives du château. En ayant franchi le seuil de la salle des rois pour aller dans le premier salon, une gouvernante prit en charge la fille. Elle grimpa rapidement l'escalier de bois verni. On l'enferma dans la vaste pièce qui constituait sa salle à coucher et on verrouilla les portes à double tour. 

     La Chinoise s'inquiéta gravement. Ne sachant quoi faire et où se trouvait son père, elle s'assit sur le sofa en tissus de soie orné de fleurs orientales. Elle entendait des cris, des hurlements et des coups. Puis, des pas bruyants dans l'escalier. Des hommes qui se rapprochaient dangereusement. Et soudain, la porte en face d'elle se mit à bouger. La serrure allait inévitablement céder. On voulait réellement sa peau. Elle s'enfuit par la seconde porte derrière et couru. 

     Elle longea un étroit couloir qui s'étendait en ligne droite. Au bout, une autre porte discrète s'ouvrait sur les appartements de l'empereur. En passant près du lit pour atteindre la trappe secrète qui menait directement aux hostiles couloirs du sous-sol, elle fut frappée d'un vif choc. Au pied du lit s'étendait le corps inanimé de son père. Une flaque de son sang royal s'était formé tout près. Elle était désormais impératrice de Chine. C'était comme un coup de poing en pleine figure. 

     La jeune fille se ressaisit, pris une chandelle que son père avait allumé auparavant et ouvrit la trappe. Se faufilant en suivant le chemin, elle s'enfonça maladroitement. Virages et marches de pierre étaient nombreux avant d'atteindre le sous-sol et les différents embranchements souterrains. Vivement, durement, elle s'appuya sur le mur humide pour reprendre son souffle. Puis, pour la première fois, un enchaînement de sanglots la parcoururent sans prévenir et elle pleura longuement. Son maquillage coulait mais elle s'en fichait drôlement. Puis, elle décida de déchirer le bas de sa robe pour lui permettre de courir plus adéquatement si l'occasion se présentait, laissant ses jambes minces libres mais quand même recouvertes d'un fin pantalon. 

     Cela faisait plus d'une heure qu'elle marchait sous terre. Elle se demandait où aller. Partout dans le pays, on la détestait. Et on voulait la tuer. Au bord du désespoir, sa chandelle s'éteignit à cause de l'humidité. Il ne manquait plus que ça. 

     L'homme se battait depuis un bon bout de temps. Il y avait beaucoup plus de soldats qu'il ne le pensais. On venait de lui dire que ses acolytes avaient eu le père. Mais que la fille avait disparu. Après plusieurs heures de recherches, il conclu qu'elle avait quitté les lieux. 

     Quelques jours plus tard, l'homme et son groupe occupaient toujours le palais. Ils ne pouvaient se permettre de festoyer tant que l'impératrice était en vie. C'était l'accord convenu : les deux royaux devaient mourir. Alors que l'homme s'affairait à élaborer un plan dans la pièce voisine, une jeune femme entra dans la salle des rois. Il n'y avait personne. Elle portait un manteau qui lui tombait aux mi-mollets, la capuche était rabattue sur sa tête, empêchant alors de voir son visage, mis à part sa lèvre inférieure gercée et rougie par le sang. Elle marchait, pieds nus, avec aisance. Elle observa aux alentours. Personne. Puis, soudain, une porte s'ouvrit. L'homme s'approcha de la femme et, avant qu'elle puisse l'en empêcher, il baissa sa capuche. Ce n'était pas celui qu'elle cherchait. Celui-ci avait la peau plus foncée que l'autre. Un sourire mesquin se dessina sur ses lèvres et il empoigna sont sabre. La jeune fille lâcha un cri qui la libéra de tout son être. Au dernier instant, elle vit sortir l'homme au visage si doux et si envoûtant, alors que la lame déchira sa peau pâle et entra brusquement dans sa poitrine pour transpercer son cœur qui s'était étonnamment réchauffé ces derniers jours. 

     L'homme vit le visage de l'impératrice sous un autre jour, juste avant qu'elle s'effondrait par terre et que son ami du sud du pays hurlait sa victoire. Il s'agenouilla près du corps de l'asiatique. Il lui chuchota : « Si vous aviez plus d'indulgence et que vous étiez en vie, je vous aurais épousé, ô reine des glaces. ». Il lui ferma les paupières et l'admira une dernière fois. Son visage portait encore quelques traces de son maquillage grotesque. Il y avait des traces de sable sur son front, ses joues et ses membres. Sa chevelure noire de jais était en bataille. Ses lèvres rouges, immobiles. Tentantes. 

     Se résignant, il prit la fleur blanche toujours intacte de son chignon ébouriffé et la lança dans la fontaine gris charbon près du trône après avoir murmuré : « À la mémoire de la fleur céleste des neiges ».


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  •  Sauve-moi.

    Elle court, elle court.  Sans regarder derrière.  On la pourchasse, on veut sa mort.  On la menace, pour qu'elle ai tort.  Elle tombe, elle tombe.  Elle perd ses manières.  Comme s'en sortir, comment oublier.  Comment s'ouvrir, sans trop en révéler.  Elle se voit dans la glace, se voit en face.  S'enfuit comme une folle, s'en veut comme une folle.

    Comment fera-t-elle ?  Le temps n'est pas éternel.  On la regarde, on se moque.  On la largue, elle s'emporte.  Sa solitude armée, son entourage outré.  Si seulement ils savaient tous.  Tout va mal, rien ne va bien.  Elle rêve d'une vie meilleure, d'une vie sans peur.

    Elle pense à la dernière option.  La dernière station.  Loin son désir de blesser son entourage.  Elle veut juste ne plus souffrir, tourner la page.  Lentement, doucement.  Elle s'empare de la cordelette, tout simplement.  Dans la noirceur de la cave, où tout se jouera.  Elle s'installe, les yeux baignés de larmes.  Le tabouret ici, lui sert de piédestal.  La corde attachée, la gorge nouée.  Elle prie, elle pleure.  Mais elle le veux de tout son cœur.

    Sa colère, sa tristesse.  Son désespoir, sa détresse.  Tous réunis avant son départ.  Son départ pour l'autre monde.  Elle ferme ses beaux yeux verts toujours mouillés.  Et rabat ses manches sur ses bras ensanglantés.  En moins de trois secondes, le monde s'évanouit.  Autour d'elle, c'est fini.

    Étonnamment, elle se réveille.  Tout est blanc, tout s'émerveille.  Pourtant, ce n'est pas l'endroit espéré.  C'est une morbide chambre d'hôpital.  À son chevet, sa mère.  Inquiète, frustrée.  Se sentant mauvaise, croyant sa fille fauchée.  Comment la revoir, sauver son âme.  Tant de problèmes, qui s'étaient faufilés sous son nez.  Tant de haine, qui avait passé.  Sa patience, ses mots doux.  Aident sa fille, à se remettre debout.

    Aujourd'hui, la vie de cette fille change un peu.  Elle ne la considère plus comme un jeu.  On vit, on meure.  On sourit, on brise des coeurs.  Voilà la sortie.  Sa voie jusqu'au paradis.  Une chose est sûre, elle veut vivre.  Respirer, se sentir libre.  Elle cherche longtemps, douloureusement.  Toujours en quête d'elle-même sous les décombres.  Telle la lumière, qui cherche son ombre.

    Au fond, elle court.  Elle a toujours couru.  Elle est tombée, sans être aperçue.  Elle cherche son bonheur, son amour.  Elle vit ses passions, à tous les jours.  Elle rêve encore, mais pas d'une vie meilleure.  Elle rêve de sa vie ici, et non d'ailleurs.


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