• Solo

     

    He sleeps alone
    He needs no army where he's headed
    'Cause he knows that they're just ghosts
    And they can't hurt him if he can't see them
    Ohh

    - Sleep Alone par Two Door Cinema Club

    ---

     On s'est tous déjà senti seul une fois auparavant. Et qu'est-ce qui arrive quand on est seul ? On pense trop. Et un phénomène qui m'effraie un peu, c'est de se sentir seul alors qu'on est entouré de monde. Ressentir un vide quand les gens nous parlent. Ce sentiment est horrible. 

     Le plus pire, je crois, c'est le soir. Quand on se couche dans notre lit. Le sommeil prend du temps à se manifester et on se met à... penser. Encore et encore. Un enchaînement de réflexions et de scénarios impossibles. Dans mon cas, je pense tellement que je finis par me détester en un sens. Je me rappelle des moments fâcheux et des échecs que j'ai vécu et ça m'est insupportable. 

     J'ai appris quelque part que pendant la journée, on s'occupe et on interagit avec ce qui nous entoure. Alors que la nuit, avant de s'endormir, c'est le néant. Il n'y a personne avec qui parler. On se retrouve avec soi-même. Et donc, notre cerveau commence à divaguer. Et les souvenirs remontent à la surface. 

     --- 

     C'était un petit garçon. Disons qu'il s'appelait Andrew. Il allait à l'école, comme la plupart des enfants de son âge. Cependant, il n'avait pas autant d'entrain que les autres. Il souffrait d'une grande timidité. Et sortir de sa carapace est une chose très difficile pour les plus réservés. Il n'écoutait pas en classe. Distrait, il regardait dehors. Aux récrés, il s'asseyait dans les marches et dessinait. Aussitôt, on voyait dans la prunelle de ses yeux bleus l'excitation qui faisait bouger sa main et transmettre ses sentiments sur papier, comme par enchantement. 

     C'était son passe-temps favori. Il dessinait sa maison, sa mère, son père, ses deux grandes sœurs et lui. Puis, un soleil rayonnant au coin de la feuille. Quand il se sentait mal, il aimait faire des arbres au feuillage noir. Des très hauts, des plus petits, des grands sapins, des saules pleureur. Parce qu'il était triste. 

     Personne ne voulait jouer avec lui. Sans copains, il ne savais pas quoi faire les weekends. Alors il dessinait. Encore et toujours. Il prenait des cours dessin. Mais il dessinait toujours avec des crayons noirs. Au fil du temps, ses facultés en dessin ne cessèrent de croître. Il griffonnait partout. Déjà, il se transformait. 

     Ce fut pendant une belle journée de printemps, alors qu'il avait environ douze ans, que la brute de sa classe vint à sa rencontre durant la récréation. Il prit la feuille d'Andrew et la déchira en hurlant : « Lâche tes sales crayons et tes dessins débiles ! » avant d'éclater de rire. Furieux, Andrew s'enferma dans une toilette de la salle de bain et dessina furtivement dans son cahier. 

     Son professeur trouva son dessin la même journée, dans le bac de recyclage. Comme si c'était une feuille banale parmi tant d'autres. Le dessin représentait la tête coupée de la brute avec le sang qui giclait de partout, les yeux sortit de leur orbite. Il n'avait jamais vu un dessin aussi explicite et violent provenant d'un de ses élèves. Il contacta les parents d'Andrew. 

     Trois ans plus tard, Andrew avait quinze ans et il avait développé un sale caractère. Il se fichait royalement de tout. De ses études, ses tâches, sa famille, les insultes. Tout sauf les arts. Ses parents, malgré tous les sermons, ne pouvaient plus rien faire. Désespérés, il le laissèrent tranquille, convaincus que c'était la chose à faire pour le garder calme. Il résistait à la tentation de riposter aux insultes, se disant que les gens n'en valaient pas la peine. 

     On disait qu'il était mal aimé et désagréable. Le pire, c'est qu'il commençait à y croire. Sans amis, il se libérait dans son art. La seule chose qu'il aimait. Il refusait de se laisser abattre. Sa perception sur le monde, ses opinions, tout ce qui sortait de sa bouche était vivement critiqué. À la fin de la journée, il se faisait battre dans la cour derrière le lycée. Tout lui semblait inutile, alors, il se taisait, alors que le sang affluait par son nez. 

     Le matin, il se levait en retard et ankylosé, s'habillait de vieux vêtements sur sa porte de chambre et quittait la maison avec son cartable plein de feuilles gribouillées avec une tranche de pain recouverte d'une généreuse couche de Nutella. Il s'aspergeait d'eau parfumée pour enlever son odeur de crasse. Dans la cour de son lycée, il s'isolait dans un coins, plus précisément sous les gradins du stade de football pour faire des esquisses. Il aimait dessiner des visages étranges et son univers était comme un trou noir qui l'engloutissait un peu plus à chaque jour. Lorsque la cloche sonnait, il flânait jusqu'à son cours et dessinait dans ses manuels, notes de cours, agenda, tout. Ses professeurs lui posaient des questions, questions auxquelles il répondait souvent par « je n'ai rien compris » ou « je m'en fou ». On se moquait de lui. On disait qu'il était antisociable, désespéré et stupide. Ou simplement qu'il était effrayant avec ses dessins. On l'évitait comme la peste. Le soir, il s'enfermait dans sa chambre et maniait son crayon jusqu'aux petites heures du matin. 

     Un jour, le groupe 32 accueillit une nouvelle élève en cours de chimie. Elle fit son entrée dans la classe et se présenta. Elle avait les cheveux brun clair redressés en un chignon déstructuré qui tombait en petites couettes. Elle était gênée et ses joues rougissantes firent ressortir ses yeux verts. On lui attribua Andrew comme partenaire de laboratoire. Comme d'habitude, il n'avait rien écouté et n'avait pas même remarqué la présence de la nouvelle élève. Elle s'installa et regarda par-dessus l'épaule de l'artiste. Il ajoutait de l'encre noire sur un œil ensanglanté. 

     « C'est joli, ça ! » lança la fille. « T'as beaucoup de talent. » Il ne savait pas d'où cette fille sortait. Il murmura : « Tu trouve ? » « Bien sûr que oui ! C'est sombre mais c'est cool. Tu devrais faire des histoires d'horreur. ». Elle sortit un cahier en reliure de cuir noir et l'ouvrit. Sur les feuilles reposaient des esquisses d'animaux sauvages, de visages attristés et de paysages hostiles. Son coup de crayon avait l'air si réaliste. Étonné, Andrew prit plusieurs minutes à feuilleter le carnet. Un éclair de complicité passa entre leur regard d'artistes.  

     Les semaines passaient et Andrew apprit à connaître un peu plus sa partenaire de labo à chaque cours. La jolie brunette pouvait calmer docilement le taureau rebelle en lui. C'était bien la première fois qu'il s'entendait avec quelqu'un. Et cela le rendait plus joyeux et attentif. Un beau jour, il la vit sur un banc près de l'école. Elle griffonnait un brouillon dans son cahier. Le vent doux qui soufflait faisait osciller ses cheveux et il la trouvait magnifique. 

     Non. C'était impossible. Il ne pouvait pas tomber amoureux. Depuis longtemps, il s'était promit de ne jamais tomber amoureux. Il s'était fait à l'idée qu'aucune fille ne pouvait l'aimer en retour et un bouclier anti-amour avait-il développé. Dans sa conscience, l'amour était son ennemi, une maladie qu'il ne voulait pas attraper. On l'insultait à chaque jour. Il voulait fuir, oublier ce sentiment de colère et d'humiliation. Il ne voulait plus souffrir. Et l'amour avait les mêmes contraintes, selon lui. Le cœur s'emballe, puis se brise. Et c'est le néant. 

     Il s'est malgré tout donné comme objectif de réussir son année scolaire. Il voulait se reprendre en main, histoire de rester au même niveau que son amie. Il travailla fort pour rattraper son retard. 

     À la fin de l'année, il eu la fierté d'annoncer la réussite de ses cours à ses proches. Puis, en rentrant chez lui avec sa fidèle complice, il fut abasourdi lorsqu'elle déposa un tendre baiser sur sa joue avant de rentrer chez elle. 

     Il y avait donc de l'espoir. Mais pas trop, quand même. Il réalisa plusieurs choses. Travailler dur porte ses fruits un jour ou l'autre. Ses dessins seront célèbres. Oui. Il doit juste éclaircir son monde. Le faire plus près de sa réalité. Avant, il croyait que sa réalité était noire, destinée à l'échec. Andrew ne courait pas après son bonheur. Il le fuyait, convaincu qu'il ne le méritait pas. Et il savait maintenant qu'il devait vivre sa vie en laissant les jaloux derrière. Il était un oublié, dans un monde hostile, qu'il devait apprivoiser. C'est en frôlant l'empreinte invisible des lèvres douces sur sa joue qu'il rentra chez lui, heureux. C'était lui contre le reste du monde.

    « Ma chanson du momentJuin ! »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 6 Mars 2014 à 18:48

    Oh! OMG, cette petite histoire est tellement jolie :D Comme quoi... L'amour ne fait pas que ramollir le cerveau xD J'adore ta plume et la fluidité dans ton texte ^^

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